mercredi 11 avril 2007

Lettre adressée au président de la province sud sur la revendication du pic aux morts, en attendant la grande cérémonie coutumière de commémoration du 150ième anniverssaire des premiers massacres des populations kanak de la vallée de Dumbéa entre novembre 1856 et mai 1857. Les massacres et les expulsions définitives von s'échelonner de 1857 à 1878 avant que ne tombe le grand silence sur cette vallée de larmes.


A Monsieur Philippe GOMES, Président de la Province Sud


Objet : revendication du Pic aux morts (Dumbéa sur mer)

Monsieur le Président,

Nous avons été informés incidemment que votre assemblée doit examiner ce jeudi 12 avril 2007, un projet de délibération relatif à l’aménagement des ZAC de Dumbéa sur mer et Panda couvrant une partie des terres comprises entre le péage de Koutio, et le pont de la Dumbéa ainsi que la plaine d’Adam. Nous constatons encore une fois le mépris que vous affichez au respect des droits des populations kanak traditionnelles de la région ayant véritablement « un lien » historique avec ces terres.

Descendants des lignées des chefs Kambwa, Negrah, Waka et Tiati de Paita, Nouméa, Mont-Dore, Dumbéa et Tiati , ainsi que des clans installés dans la haute et basse vallée de la Dumbéa depuis la nuit des temps ,nous venons par la présente vous demander de bien vouloir prendre en compte que ces terres nous appartiennent au titre du droit foncier coutumier renié sans relâche par les autorités depuis l’acte de reconnaissance de la souveraineté française imposé à nos chefs le 16 août 1854 sur la presqu’île de Nouméa.

Vous n’êtes pas sans savoir, que les revendications de ces terres datent de la réforme foncière de 1978, dans la région du grand Nouméa. Il n’est pas inutile de rappeler ici, les termes d’un courrier que Madame Scholastique Togna épouse du député Pidjot Roch, chef de la tribu de la Conception, et descendante directe du dernier grand chef de la vallée de Dumbéa, le grand chef Nundo assassiné en 1878, a adressé au ministre des Tom –Dom, Monsieur Paul Dijoud le 13 août 1980. Dans cette lettre elle écrit : « Nous avons, en octobre 1978, revendiqué officiellement ces terres, où sont tombées les générations de nos morts, dont la malédiction retombera sur ceux qui voudraient s’en emparer à nouveau ».

Ainsi dans la continuité de l’action de Madame Pidjot décédée le 11 avril 1984, il y a exactement 23 ans aujourd’hui, nos revendications ont pour objectifs de faire respecter nos droits les plus élémentaires sur ces terres : droit à retrouver notre environnement traditionnel, droit de vivre dans des conditions décentes et non pas en immigrés dans notre propre pays. Ces revendications s’inscrivent dans l’esprit de l’accord de Nouméa signé le 5 mai 1998, elles sont menées dans le cadre du règlement du contentieux colonial entre l’Etat français et le peuple kanak.

Il convient d’avoir à l’esprit que la majorité des 3000 habitants de la vallée de Dumbéa ont été chassés de leurs terres en 1859. Le petit reste qui a réussi à survivre aux opérations de spoliation a été massacré et exterminé à titre préventif par la population blanche de Nouméa dès l’éclatement de la révolte menée par le grand chef Ataï en 1878 dans la région de Farino et la Foa. Une partie des rescapés a trouvé refuge soit aux réductions catholiques de St Louis et la Conception ou alors a fui vers la côte est et notamment vers Unia (Yaté), Iles des Pins et Thio.

Depuis juillet 2003, les autorités compétentes ont été informées de nos revendications. Mises à part quelques réunions organisées en fin 2004 à la mairie de Dumbéa aucun accord n’a été trouvé, pire nous avons été complètement ignorés dans les études d’aménagement menées par votre collectivité depuis trois ans. Vous avez utilisé et peut être même attisé les difficultés de communication entre certains membres du clan Togna (Tre Waka) pour avancer dans ce dossier, usant habilement de la politique du fait accompli. Malgré de nombreuses relances, vous n’avez jamais donné suite à nos demandes d’audiences afin de trouver une solution de compromis.

Nous vous rappelons les points soumis depuis cinq ans aux collectivités : Tout d’abord la délimitation de la zone du Pic aux morts sur une superficie d’environ 50 hectares. La volonté de notre GDPL est de pouvoir récupérer l’ensemble de la presqu’île compte tenu du caractère sacré du lieu et de ses liens avec les traditions et la mythologie KANAK du Pays DRUBEA. Il s’agit non seulement d’un lieu réservé aux sépultures anciennes mais aussi dans les récits généalogiques et mythiques (les « Gouéba » en Nra Drubéa) l’endroit où se rassemblent les esprits des morts avant de plonger dans le grand courant de la Dumbéa qui les mène vers le royaume des morts. Ce lieu sacré dont sont gardiens les TOGNA, constitue un patrimoine KANAK à protéger absolument, nous avons d’ailleurs des propositions de mise en valeur qui pourraient coïncider avec le projet d’aménagement initié par votre collectivité. Nous souhaitons par ailleurs faire valoir nos droits et récupérer une partie de la plaine d’Adam, lieu d’emplacement d’un ancien hameau kanak, pour installer la centaine de familles descendantes des Tre Waka actuellement dispersés dans les tribus de la Conception, St Louis, Païta, Yaté, aux Loyautés à Nouméa ou encore en Polynésie Française.

Notre démarche ne consiste pas à en une opposition systématique au projet d’aménagement urbain, nous ne faisons que défendre le droit à la dignité pour les générations actuels et à venir. Il est hors de question, pour nous kanak marginalisés de cette région qui voyons tous les jours notre espace foncier traditionnel disparaître sous une urbanisation galopante, de nous contenter de vagues promesses d’embauches ou d’avantages matériels qui laissent à penser que notre attachement à ces terres n’est pas réel sinon pour en retirer quelques avantages économiques. Ce droit que nous défendons porte sur l’accès à une partie de notre foncier traditionnel qui nous a été volé entre 1859 et 1878, il porte aussi sur la défense de l’environnement naturel et notamment la préservation de la mangrove et du littoral maritime qui doit absolument échapper au tout béton ou au tout remblai.

Face à de telles revendications, des solutions existent et ne demandent qu’à être mises en œuvre. L’exemple des indiens du Canada dans le domaine minier, est là pour nous rappeler que la coopération des populations locales et des opérateurs publics ou privés n’est pas inédite à partir du moment où les règles du jeu sont fixées d’un commun accord. Récemment et plus prés de nous, les exemples d’implication des populations de l’Ile des pins et d’Ouvéa dans les projets hôteliers d’envergure, démontrent bien que si une réelle volonté de partenariat existe, le statut des terres coutumières ne constitue nullement un obstacle au développement. Nous vous rappelons pour conclure le cadre des négociations que nous continuons de proposer afin de trouver une solution satisfaisante pour toutes les parties concernées par ce projet :

· Définition d’un commun accord d’un périmètre foncier autour du « Pic aux morts » et de certains sites de la plaine d’Adam lesquels seraient attribués au GDPL Taku. Aménagement de cet ensemble dans le cadre du développement durable en relation avec les projets des collectivités communales et provinciales.

· Création d’un fonds patrimoine géré par les GDPL concernés et les collectivités publiques dans le but de favoriser l’intégration sociale et économique de nos générations futures.

Ces deux propositions, suivies au besoin de mesures d’accompagnement, nous semblent aller dans le sens d’une réelle prise en compte des intérêts des propriétaires traditionnels sans porter fondamentalement préjudice aux politiques mises en œuvre par votre majorité. Un accord finalisé dans cet esprit pourrait servir d’exemples pour les opérations de ce type dans la région du grand Nouméa.

Nous souhaitons enfin vous faire savoir que sans réponse à nos revendications, nous comptons nous opposer au projet d’aménagement des deux ZAC avec les moyens qui seront à notre disposition, en un mot, il est hors de question pour nous de continuer à être marginalisés sur le sol de nos ancêtres après 150 de spoliation et d’humiliation. Notre pays est entré depuis peu dans ses périodes de jubilé : 150 ans d’évangélisation, 150 ans de colonisation. De novembre 2006 à mai 2007, nous commémorons les 150 ans des premières représailles militaires contre les tribus du sud dont celles de Dumbéa, les premiers massacres, les premières expulsions, les premiers grands mouvements de population et leur lot de réfugiés.

Le GDPL Taku fera appel dans les mois qui viennent aux clans et chefferies du sud pour venir commémorer le 150ième de ces évènements. Il s’agit d’un devoir de mémoire eu égard à l’histoire tragique de nos ancêtres. Ce rassemblement aura lieu dans ce lieu mythique : « le Pic aux morts » de là où les esprits de nos Vieux chassés et massacrés ont rejoint le grand courant de la Dumbéa en laissant sur cette terre sacrée et aimée leur pleurs et leurs souffrances innommables.

Vous souhaitant bonne réception, nous vous prions de croire, Monsieur le Président à l’expression de nos sentiments distingués.


Madame Bernadette TOGNA, vve MAVOUI

Présidente du GDPL TAKU

Madame OHNO Dorothé

Monsieur Roch WAMYTAN

Grand chef du district du Pont des Français