mercredi 30 avril 2008

Océaniens et non Européens, notre droit à l’indépendance se réalisera dans l’ensemble Pacifique - Roch Wamytan, signataire de l'accord de Nouméa

Colloque des 25 et 26 avril 2008. (Mairie de Paris, Palais du Luxembourg)

Titre « Océaniens et non Européens, notre droit à l’indépendance se réalisera dans l’ensemble Pacifique ».

Sous titre «Petite leçon d’histoire, de droit, de géographie »

Roch WAMYTAN, président du FLNKS (1995-2001)

Signataire de l’accord de Nouméa

Préambule

J’interviens ici en ma qualité de témoin et acteur des accords de Matignon en 1988 et Nouméa en 1998, textes fondateurs de la Nouvelle Calédonie d’aujourd’hui. Témoin de l’accord de Matignon, en effet au cours du mois de Juin 1988, Jean Marie Tjibaou, alors président du FLNKS, m’avait demandé de le représenter à une réunion de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) à Addis Abeba en Éthiopie, puis de le rejoindre à Paris où l’avait convié le premier ministre M. Rocard. J’ai ainsi suivi en « coulisse » les négociations qui ont abouti à l’accord de Matignon. Acteur de l’accord de Nouméa, puisqu’en 1998, c’est en tant que président du FLNKS, à la tête de la délégation indépendantiste, que nous avons négocié puis signé cet accord à Nouméa le 5 mai 1998 aux côtés du premier ministre de la France Mr Lionel Jospin et de Mr Jacques Lafleur, président du RPCR.

Ces accords ont été signés, au nom du Front de Libération Nationale Kanak Socialiste. Le FLNKS porte la revendication nationaliste kanak, il est sujet de droit international et bénéficie des droits et obligations reconnus à tout Mouvement de Libération Nationale (MLN), depuis la réinscription de la Nouvelle Calédonie sur la liste des pays à décoloniser de l’ONU le 2 décembre 1986, résolution 41/41 A de l’assemblée générale des Nations Unies.


Si j’ai bien compris la démarche des organisateurs, il convient de parler vrai, de dire les choses telles qu’on les ressent de là ou nous sommes, et éventuellement interpeller le premier ministre M. Rocard sur certaines questions ou sur des points particuliers quant au rôle de la France dans le processus de décolonisation de la Nouvelle Calédonie.

Dans l’exercice de mes différents mandats politiques à l’assemblée de la province sud, le congrès et le gouvernement ou encore en tant que président de l’Union Calédonienne (UC), (1999-2001), vice président du FLNKS (1990-1995) puis président du FLNKS (1995-2001), j’ai toujours œuvré afin que les deux accords de 1988 et 1998 soient appliqués dans l’esprit et dans la lettre.

Mon intervention, cet après midi, sera basée essentiellement sur la question de la décolonisation de notre pays. Je vais donc essayer de vous donner, le plus brièvement possible les clefs essentielles, dans le temps qui m’est imparti, sur le contexte historique dans lequel les deux accords ont été signés, le non respect du droit international fondement de la revendication nationaliste kanak, enfin quelques perspectives. J’espère que cela suscitera de nouvelles recherches, particulièrement chez les étudiants calédoniens et notamment kanak qui doivent connaître les périodes sombres de notre histoire confrontée au colonialisme considéré par l’ONU depuis 1970 comme un crime (1).


Introduction générale

Les accords de Matignon- Oudinot et Nouméa se situent dans la lignée de moult statuts et arrangements constitutionnels pour assurer le contrôle des colonies et de l’outre mer.

Depuis 1940, année de la création du « Conseil de défense de l’Empire » (2), jusqu’à nos jours, l’Etat a constamment fait le choix de chercher et construire sa propre indépendance en contrecarrant l’indépendance de ses colonies et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (3). Les raisons avancées sont multiples : sa grandeur, sa place dans le monde, ses intérêts supérieurs (4)… et depuis ces dernières années son rang de deuxième puissance maritime. Ses slogans perdurent et illustrent cette politique « la France des trois océans où le soleil ne se couche jamais », « l’outre-mer, la respiration de la France dans le monde » (5) En refusant la décolonisation des peuples par des moyens divers, l’Etat contribue à bloquer le compteur de l’histoire au lieu de refermer « la parenthèse » que constitue le système colonial comme l’a souligné, à plusieurs reprises, l’ancien secrétaire général de l’ONU, Koffi Anan

Les méthodes pour maintenir ces situations d’oppression sont largement connues et décrites avec détail. Je citerais brièvement pour ma part, les guerres coloniales, les statuts à répétition une sorte de « guerre des statuts », les accords truffés de pièges pour les ralentir, les rendre caduques ou inopérants, les accords portant à croire que les colonisés veulent rester au sein de la République du genre « c’est eux qui le demandent ». A monsieur Rocard qui comme ses prédécesseurs, propose de « décoloniser dans la France », je réponds par l’affirmation de Mr Earl Stephen Huntley Président du comité spécial des 24 de l’ONU, qui déclarait le 12 février 2003 : « Certains Territoires non Autonomes se bercent de l’illusion de l’autonomie en se montrant prompts à légitimer l’autorité unilatérale d’un pays plus important. Loin d’avoir disparu, le colonialisme a pris de nouvelles formes plus sophistiquées, à savoir le déni de l’existence d’un statut pour les Territoires non autonomes ».

S’il y a de la résistance de la part des peuples sous tutelle, alors des moyens plus radicaux sont utilisés de façon insidieuse. Ces moyens vont s’exercer sur trois cibles principales que sont d’une part les MLN et les partis indépendantistes qui sont infiltrés, « doublés », réprimés, interdits…, d’autre part les leaders qui sont retournés, éliminés politiquement ou assassinés… enfin les populations qui sont déplacées et transférées, « l’idéal » étant de mettre en place une colonie de peuplement accompagnée d’une stratégie de la tension et de la peur. Diviser pour régner, manipulations, désinformations… complètent les moyens employés à cette fin, « briser la résistance ». Mr Raymond Nart de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) nous l’explique « il faut détecter, recruter, retourner, pénétrer, désinformer ou mieux intoxiquer pour amener l’adversaire à s’autodétruire ».

Cela, l’histoire de la décolonisation et des recolonisations, nous l’a appris, notamment avec ce que l’on sait sur le système de la « Françafrique » si bien décrit par l’association Survie dont les livres de François Xavier Verschave. Notre pays la Nouvelle Calédonie n’a pas échappé à cette main mise de l’Etat tout au long de son histoire. Je la connais bien, elle m’a été racontée, notamment, par mon grand père maternel, Roch Pidjot, membre fondateur de l’Union des Indigènes Calédoniens Amis de la Liberté dans l’Ordre (UICALO), de l’Union Calédonienne, député du territoire de 1964 à 1986, lui qui a été grand chef du temps de l’indigénat, marié à une descendante de la chefferie de Dumbéa rayée de la carte par l’armée coloniale voilà 150 ans exactement. Il m’a raconté les manœuvres dont il a fait l’objet. Tout d’abord en tant que conseiller territorial autour du référendum de la constitution de 1958, puis en tant que ministre durant la loi Defferre qui aurait dû restée inchangée afin de disposer du temps nécessaire pour préparer l’indépendance. Enfin en tant que député autour des discussions du projet de loi Lemoine en 1984, après le rejet de son projet de loi sur l’indépendance jugé anticonstitutionnel.


La colonisation, nous la connaissons donc à travers les livres et les récits que nous ont rapportés nos anciens, mais hélas aussi à travers nos propres responsabilités difficiles face aux nombreux obstacles et dans un rapport de force si défavorable. Responsabilité avec ses doutes, déceptions, craintes, angoisses, sacrifices ainsi que son lot d’erreurs. Responsabilité procurant par ailleurs la satisfaction de participer à notre lutte de libération, de faire vivre nos espoirs, de remporter quelques victoires. Mme Caroline Machoro vient, avec beaucoup d’émotion, de vous décrire les grandes étapes de notre lutte et de ses espérances. Les promesses et les revirements successifs de l’Etat pour garder son empire colonial et son outre-mer, ajoutés aux souffrances endurées par notre peuple depuis la prise de possession le 24 septembre 1853, ont conduit à une perte quasi irréversible de confiance en une France plus soucieuse de défendre le droit des peuples en dehors de son pré carré. Une France qui ne cesse de se proclamer « Patrie des droits de l’Homme » pour masquer ses manquements au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

1-Le Contexte historique des accords

A vingt ans et dix ans de distance, avec cette histoire présente à la mémoire, on doit mettre en lumière les zones d’ombre et les manœuvres dont ont fait l’objet les leaders de l’époque, en particulier les leaders indépendantistes.

1.1 L’accord de Matignon

S’agissant de l’accord de Matignon, le film « les médiateurs du pacifique » qui nous a été projeté ce matin à la Mairie de Paris illustre en partie ces manœuvres.

A l’occasion du boycott du « statut Pons » en 1988, eut lieu la tentative d’occupation de la brigade de gendarmerie de Fayaoué (Ouvéa), par des militants du FLNKS. Elle entraîna, hélas, un terrible drame, la mort de quatre gendarmes. En réponse, l’Etat, pour libérer les gendarmes détenus en otage, déclare une guerre coloniale à Ouvéa sur fond d’enjeu de pouvoir franco-français, l’élection présidentielle de 1988. Suite à ces deux évènements, l’Etat détourne le projecteur et, sous le manteau de la neutralité objective, se transforme en arbitre entre deux communautés car le pays serait « au bord d’une guerre civile ». Le colonisateur « pyromane pompier » se métamorphose, par un tour de passe-passe, en « faiseur de paix » grâce aux « médiateurs du pacifique » et l’accord de Matignon. Le réalisateur reprend la thèse officielle dans la présentation de son film, « la France faisant œuvre de Paix. Quel message plus universel ?» Mais il nous informe aussi des pressions exercées sur les négociateurs calédoniens à l’instar de ce qui vient d’être décrit à propos de la colonisation (6). Il nous précise enfin que l’Etat proposait aux négociateurs, la paix et la réconciliation ou la guerre. (7)

Suite à ces pressions, les deux négociateurs signaient l’accord de Matignon le 26 juin 1988, le symbolisant par une poignée de main historique. En tant que membre de l’Union Calédonienne dont la devise est « deux couleurs, un seul peuple », je ne peux pas dire que la poignée de main et le rapprochement des deux leaders étaient inutiles, je salue cette démarche empreinte de dignité. Elle a ouvert de nouvelles et de vastes possibilités dans le champ du « vivre ensemble » en permettant de faire émerger la conscience d’appartenir à un pays et à un peuple en devenir. Ce rapprochement a aussi permis une meilleure compréhension des uns et des autres sans oublier toutefois de noter que les élus calédoniens se connaissent et travaillent depuis longtemps au sein des institutions de leur pays. Hélas, malgré cela, les stratégies de tension et de peur, pour sauvegarder la Nouvelle Calédonie française, se révèlent toujours aussi dangereusement « efficaces ».

Il est vrai cependant que beaucoup de calédoniens ont découvert qui étaient vraiment les kanak après les « évènements » de 1984, les drames d’Ouvéa et les accords de Matignon Oudinot. Avant cette date, ils étaient « invisibles » ou transparents. Depuis les massacres et les expulsions du siècle précédent, les kanak s’étaient fondus dans le paysage pour se faire oublier afin de survivre tout simplement. Leur histoire a rattrapé l’histoire officielle de la Nouvelle Calédonie, « pays du non dit » par excellence. La poignée de main, malgré ses effets positifs immédiats ou à terme ne peut pas être un prétexte pour maintenir le statu quo. Certes, le geste a permis le début d’une nouvelle espérance, il doit se prolonger par une réelle volonté de changement dans le respect du droit de chacun, de tous les citoyens, mais il ne peut bafouer celui du peuple colonisé réclamant son indépendance.

La signature de l’accord de Matignon reportant l’indépendance sine die, condamnait Jean Marie Tjibaou. Il le paya de sa vie un an plus tard. C’est ce que lui dira Yéwéné Yéwéné au sortir de Matignon : « nous sommes dans un trou noir ». L’accord de Matignon fut contesté par les instances du FLNKS. Ainsi à la convention de Thio, Jean Marie Tjibaou écoutera avec un calme et une dignité extraordinaire les militants lui reprocher son geste. A la fin de la journée, à court d’argument, il se justifiera par la mort de ses frères assassinés à Tiendanite (Hienghène) en décembre 1984 et les reproches de sa propre mère, décédée peu après, qui lui en faisait endosser la responsabilité. « A vous qui me reprochez cet accord, je vous dis merde ». Il criait par là sa souffrance face au poids des drames de Tiendanite et d’Ouvéa. La convention de Gossanah (Ouvéa) exigeait, quant à elle, un réaménagement de l’accord sur des questions de fond (8). Ce à quoi répondait M.Rocard par une fin de non recevoir sauf à obtenir l’assentiment de J. Lafleur (9)

Vingt ans après ces évènements, on continue à se poser des questions sur la responsabilité politique de la mort des trois leaders indépendantistes : Jean Marie Tjibaou, Yewene Yewene et Djoubély Wea le 4 mai 1989 à Wadrilla (Ouvéa). En signant cet accord, qui contrait l’indépendance du pays kanak, Jean Marie Tjibaou avait t-il conscience qu’il mettait sa vie en danger et pourquoi l’a-t-il accepté ? Ou alors comment les négociateurs de l’Etat l’ont-t-il persuadé de signer, avaient t-ils des moyens de pression sur sa personne ? A-t-il fait l’objet de pressions par rapport à la mort de ses frères et au massacre d’Ouvéa ? Dans quel état d’esprit était-il ? Certains ont-ils profité de sa « fragilité » pour lui arracher cet accord qui devait le conduire à la mort ?

Avant cette nuit du 25 au 26 juin 1988, il nous a fait part du ton parfois menaçant de ses interlocuteurs, comme par exemple que le statut Pons ne serait pas modifié s’il ne signait pas un accord, que les milices dont il demandait le désarmement, ne seraient pas désarmées, que l’armée française pourrait encore intervenir sur d’autres points du Territoire s’il le fallait etc… « Voulez vous la mort de votre peuple » lui a-t-on demandé. Les menaces s’accompagnaient en outre de promesses. Ainsi, en contrepartie d’un accord, l’Etat allait s’engager à pourvoir à la Nouvelle Calédonie les moyens d’un développement sous le principe du rééquilibrage, pour préparer le pays à l’indépendance, mais ceci reportait à plus tard la question de l’exercice du droit à l’autodétermination et à l’indépendance.

Par ses interrogations et ses doutes, Jean Marie Tjibaou exprimait sa volonté d’avoir le soutien des instances du FLNKS, avant de poursuivre les négociations avec l’Etat.

Aussi, je tiens à vous faire part d’un fait que je considère très important, il s’agit d’une lettre de Jean Marie Tjibaou adressée au premier ministre M.Rocard le 25 juin 1988. En fin d’après midi, ce jour là, il avait demandé à Yéwéné Yéwéne, Léopold Jorédié et moi-même de le rejoindre dans sa chambre d’hôtel. Il nous explique qu’après les rencontres bilatérales avec le premier ministre, il va devoir accepter de signer un accord qu’il ne peut assumer seul. Il a donc besoin de recueillir l’aval et le soutien du FLNKS sur les contours d’un éventuel accord avant d’engager son peuple. Le ton et le contenu de la lettre reflétaient la gravité du moment. Ainsi, il viendrait à Matignon avec sa délégation mais après avoir entendu le premier ministre, il comptait lui demander de suspendre de quelques semaines les négociations. Je vais personnellement déposer la lettre à Matignon, il demande à Léopold Jorédié et moi-même d’attendre à son hôtel le retour de la délégation. Que se passe t-il après ? L’attente dure toute la nuit et le dimanche 26 juin, au petit matin, on apprend qu’il a finalement signé l’accord dit de Matignon alors que, d’après le planning, les rencontres devaient se poursuivre encore le mardi. Le piège mis en place par Mr Rocard s’était refermé, une fois de plus, à partir de pressions et de fausses promesses. (10).

Au cours de l’année d’administration directe (1988-1989) Jean Marie Tjibaou s’est plaint à plusieurs reprises des mensonges avérés, des promesses non tenues, et des difficultés qu’il rencontrait déjà pour faire vivre l’accord de Matignon Oudinot. Ainsi, preuves statistiques à l’appui, l’Etat disait, contrairement aux chiffres avancés par le FLNKS, que les kanak seront majoritaires au référendum de 1998. Par ailleurs le gouvernement s’engageait à freiner le flux de migration en provenance de la Métropole notamment par la suppression de l’indexation des retraites. Enfin des mesures d’accompagnement seront prises pour inciter les expatriés métropolitains à rentrer en France. (11). Au lendemain du référendum du 6 novembre 1988, il déclarait à une journaliste Australienne à propos de ces accords « Le FLNKS n’est pas marié aux dix ans de l’accord, il s’y tiendra si les autres s’y tiennent. Que font aujourd’hui certains signataires alors qu’il est question de partager ? En fait, ils ne partagent rien, ils ne cherchent qu’à exclure les autres.». Dans une interview donnée à un journal australien à Sydney en janvier 1989, il laissait entendre un éventuel retrait de cet accord, quelques mois plus tard, il était assassiné à Wadrilla lors de la cérémonie de levée de deuil des 19 martyrs d’Ouvéa. Son assassinat et le sang versé scellaient définitivement l’accord de Matignon Oudinot, telle est la tradition kanak. Il portait seul la responsabilité de l’accord, lui seul pouvait revenir sur cet accord, sa mort liait le FLNKS à l’accord de Matignon puis dans son prolongement, à celui de Nouméa signé 10 ans plus tard. Certains avaient-ils fait le lien entre sa nécessaire disparition et la survie de l’accord ?

Le FLNKS était une fois de plus décapité, dans la droite ligne des assassinats de Pierre.Declercq en 1981, d’Eloi Machoro et de Marcel Nonaro en 1985, sans compter les nombreuses disparitions de leaders kanak (crise cardiaque, cancer foudroyant, accident de voiture, d’hélicoptère…) une illustration de « l’art de la guerre » : écrêter par la tête » ?

1.2 L’accord de Nouméa

Je ne reviendrais pas sur les aspects de l’accord de Nouméa évoqués par la vice présidente FLNKS du gouvernement de la Nouvelle Calédonie, Mme Déwé Gorodey. Elle a précisé que cet accord demeure la feuille de route de notre pays et qu’il doit aller à son terme avec l’enjeu important du transfert des compétences. Elle a exprimé avec clarté les difficultés liées à l’application au jour le jour de la collégialité au sein du gouvernement. En soulignant les avancées positives, elle a exprimé les espoirs et les attentes des acteurs œuvrant à la mise en œuvre de cet accord devant assurer le « mieux vivre ensemble » des populations.

Pour ma part, en tant que signataire de l’accord de Nouméa, j’ai vécu les difficultés de sa mise en œuvre au sein du premier et du deuxième gouvernement issus des élections provinciales de mai 1999. Depuis lors, je me suis attaché à exercer une vigilance accrue sur son application, n’hésitant pas à dénoncer tant en Nouvelle Calédonie, que devant le comité des signataires à Paris ou les instances de l’ONU à New York, le non respect, les dérives et les freins orchestrés par les deux autres partenaires de l’accord. Les déclarations à ce sujet ont fait l’objet de nombreuses publications internes (12).

Il me reste à aborder les manœuvres et manipulations sur le FLNKS. La méthode à dominante « élimination physique » des leaders indépendantistes de la décennie 1980 est passée au second rang par rapport à d’autres méthodes appliquées dans les colonies françaises : les éliminations politiques, le retournement des responsables indépendantistes et les créations de « troisième force ». Il s’agit d’une stratégie destinée à rendre inopérant tout en les neutralisant, les mouvements de libération nationale, afin de faciliter entre autre la partition des territoires réclamant l’indépendance. L’ancien ministre du général De Gaulle, Alain Peyrefitte, abondamment cité ces derniers temps par M. Rocard, aborde ces thèmes dans un ouvrage daté de 1961 intitulé « Faut-il partager l’Algérie ? ». Toutes les recettes y sont, depuis le système de fédéralisme interne et externe jusqu’aux techniques de retournement des leaders.

Le général Maurice Faivre, dans deux ouvrages, nous éclaire sur une de ces opérations. Il s’agit de la création du Front algérien d’action démocratique (FAAD) mis en oeuvre par le Service Action du « Service de Documentation Extérieure et de Contre Espionnage, (SDECE) ». Dans une de ses notes internes datée du 14 mars 1961, il précisait ainsi : « il est décidé de tenter de créer une organisation musulmane opposée au FLN et favorable au maintien de liens étroits entre l’Algérie et la métropole » (13).

S’agissant des leaders du FLNKS, les tentatives de retournement n’ont pas manqué, avec d’ailleurs plus ou moins de succès pour les « commanditaires ». La création de l’Union Nationale pour l’Indépendance (UNI) en 1995 peut être analysée sous cet angle. La mise en orbite du Comité de Coordination des Indépendantistes (CCI) en décembre 1997, devenu Fédération des CCI ou FCCI en mai 1998 relève de la même logique. Ironie de l’histoire le FAAD a été crée par le CCI (Centre de coordination inter armée) des services de la défense française. Enfin la fameuse « lettre du Figaro » publié par Alain Peyreffite en 1996, annonçant un « soi disant » accord politique secret signé par J. Lafleur et R.Wamytan, participe de la même tentative de retournement des leaders. Il faut ainsi noter que ces tentatives se déroulaient à la veille de la reprise des négociations sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle Calédonie. A l’approche des échéances capitales que sont les élections de 2009 et le référendum de 2014, que vont nous réserver comme surprise de taille, les inconditionnels du maintien de notre pays au sein de la République française ?

2-Non respect du droit international sur les fondements de la revendication nationaliste

Malgré des avancées positives, les différents accords se situent dans une continuité de démarches de l’Etat défendant avant tout ses propres intérêts. Pour contrer l’indépendance, il « décolonise dans la France ». Il propose pour ce faire, une fédération « externe » afin de garder les pouvoirs régaliens et ce malgré les échecs retentissants de l’Union Française en 1946 et de la communauté en 1958 consacrant, en vain, une double citoyenneté. Son outil, la constitution française a deux particularités. Elle « constitutionalise la colonisation » comme l’a si bien dit un député malgache en 1946 et elle bafoue le droit de l’ONU sur l’octroi de l’indépendance.


Je citerai trois exemples qui parlent d’eux-mêmes pour confirmer mon propos et qui viennent contrecarrer les conditions d’exercice du droit à l’autodétermination des peuples, telle que le rappelle la résolution 55/146 de l’assemblée générale des Nations unies en date du 8 décembre 2000 prise à l’occasion de la prorogation de la décennie pour l’éradication du colonialisme (2001- 2010) : et notamment les articles 11 et 12.

Le premier exemple est le droit de vote dont la référence au droit de l’ONU est l’article 11 de la résolution citée ci dessus : « Les puissances administrantes devraient veiller à ce que l’exercice du droit à l’autodétermination ne soit pas entravé par des modifications de la composition démographique dues à l’immigration ou au déplacement des populations dans les territoires qu’elles administrent » Cette question a fait l’objet de discussions interminables depuis des décennies alors que suivant les principes de l’ONU, il s’agit de l’exercice d’un droit lié à la notion de populations concernées. En 1983, à Nainville les roches, le Front Indépendantiste (FI) a accepté d’ouvrir ce droit uniquement aux « victimes de l’histoire ». A chaque échéance importante, ce fut le cas en 1988 et 1999, des nouveaux arrivés revendiquent cependant ce droit, réservé prioritairement au peuple colonisé. Les offensives continuent malgré la notion constitutionnalisée de « vote bloqué ». Le FLNKS s’opposera à de nouvelles manoeuvres et notamment à une interprétation abusive de l’article 218, e de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 « sont admis à participer à la consultation pour le référendum d’autodétermination les électeurs inscrits sur la liste électorale remplissant la condition suivante : «avoir l’un de leurs parents né en Nouvelle Calédonie et y avoir le centre de leurs intérêts matériels et moraux »

Le deuxième exemple est la poursuite de la colonie de peuplement, organisée, sélectionnée et intensifiée depuis les années 1950 suite à la peur de perdre les dernières colonies françaises d’outre mer dans le contexte des guerres d’Indochine et d’Algérie. (14) Les conséquences des flux d’immigration en provenance de la France métropolitaine, sont désastreuses. Le journal « Le Monde » abordait ce problème dans un article daté du 19 avril 2008, intitulé « les métros débarquent sur le caillou ». Il citait l’Institut de la statistique évoquant le chiffre de 14000 personnes installées entre 2000 et 2004 et un solde migratoire de nouveaux arrivants entre 800 et 1200 par an. La construction des usines, le dispositif de défiscalisation, les retraites indexées, constituent un appel d’air à l’immigration métropolitaine avec tous les effets négatifs qui en découlent : la flambée des prix de l’immobilier, le rejet à la périphérie de la ville ou dans les squats de centaines de familles océaniennes qui ne trouvent plus à se loger décemment en ville, la pression sur le foncier traditionnel kanak suburbain dont les revendications, les droits, sont de plus en plus bafoués. Ce flux contribue enfin à rendre de plus en plus minoritaire le peuple kanak dans son propre pays. Il en résulte des phénomènes de rejet tant de la part des kanak que des autres, notamment de la population caldoche. Comment la population concernée pourra t-elle exercer son droit à l’autodétermination avec cet afflux de population ?

Enfin troisième exemple, le pillage organisé de notre patrimoine minier avec les projets métallurgiques polluants notamment celui du sud. Ce projet va exploiter le diamant de Goro, un des gisements les plus importants au monde, cédé par l’Etat, pour « une bouchée de pain » à la société canadienne Inco. Cette transaction s’est effectuée, sur le dos des calédoniens, dans le cadre de contreparties d’Etat à Etat, tenues secrètes. A longueur d’années les sociétés annoncent leur intention d’ouvrir de nouvelles exploitations au moment où les cours du nickel sont au plus haut. De même des projets sont en cours pour exploiter nos richesses en gaz et pétrole. Que restera t-il pour les générations à venir et le futur Etat ? Comment les populations vont-elles exercer leur droit à l’autodétermination dans les meilleures conditions possibles si leurs richesses ont été pillées et leur environnement pollué ? Ainsi que le rappelle l’ONU en son article 12 de la résolution pré citée : « Les puissances administrantes devraient appliquer des mesures visant à conserver les ressources naturelles, à protéger l’environnement et à aider les peuples des territoires non autonomes à parvenir à un niveau maximal d’autosuffisance économique, de protection écologique et de développement social et éducationnel ». Nous exigeons que ce droit soit respecté.

3- Les perspectives

Certains observateurs avisés, lors de la signature des accords de 1988 et 1998, clamaient l’opportunité pour la Nouvelle Calédonie d’une décolonisation réussie. Force est de constater qu’au fil du temps, on assiste plus tôt à une décolonisation inachevée et pire à une recolonisation programmée. Deux dangers guettent principalement notre pays : la partition et la déstabilisation.

L’accord de Nouméa, comme le stipule par ailleurs le droit international, interdit la partition mais le risque demeure quant aux intentions réelles de la France. En effet, certains proposent déjà comme solution de sortie du processus de l’accord de Nouméa, le fédéralisme. Cette solution est présentée comme « la » nouveauté, alors que le système fédéral était déjà proposé aux colonies, en 1791, ce qui entraîna la révolte des esclaves de saint Domingue. Ce dispositif institutionnel « fédération interne et externe » pourrait déboucher sur une partition de la Nouvelle Calédonie, comme dit précédemment. Il convient de noter par ailleurs qu’il existe un précédent en matière de partition depuis 1975, il s’agit de l’occupation illégale de l’île comorienne de Mayotte malgré l’opposition des comoriens et les condamnations successives de l’Etat français par l’ONU.

Parallèlement en Mélanésie, les manœuvres de déstabilisation risquent de se poursuivre, l’objectif inavoué étant de créer un soi disant « îlot de stabilité » à haut niveau de vie en Nouvelle Calédonie dans un univers présenté comme « chaotique » afin de décourager toute aspiration à une indépendance future.

Que peut-on espérer pour faire respecter notre droit, au-delà de toutes manœuvres et promesses non tenues ? Si aucune solution satisfaisante dans le cadre du destin commun n’est trouvée, le peuple kanak devra alors, avec le soutien des pays frères du Pacifique, se retourner vers l’ONU pour lui demander officiellement sa protection face aux velléités de l’Etat français d’imposer ses choix sur un peuple qui ne réclame que ses droits, la justice, la dignité et la liberté. Le peuple kanak ne pourra plus se contenter de statut de transition permanent à l’intérieur du carcan constitutionnel français et accepter que son indépendance soit confisquée. Ayant définitivement perdu confiance en une France qui reste coloniale, il ne pourra plus envisager de bâtir son avenir et celui de ses enfants sur des promesses jamais tenues ou détournées de leurs objectifs par des pressions et du chantage permanents.

Le temps jouant finalement contre le projet d’indépendance, le FLNKS ne devrait pas pousser au-delà de l’horizon 2014/2019 l’accession de la Nouvelle Calédonie à la souveraineté pleine et entière à moins de vouloir ranger aux oubliettes de l’histoire son droit inné et actif à l’indépendance.

Le temps sera alors venu de faire vivre enfin un Pacifique décolonisé dans un regroupement d’Etats indépendants et interdépendants. Il sera composé, avec l’Australie et la Nouvelle Zélande, des trois entités océaniennes : la Fédération des Etats mélanésiens, y compris Timor de l’Est et demain la Papouasie occidentale, la Polynésie et la Micronésie. Cet ensemble, au sein du Forum du Pacifique, donnera ainsi une visibilité et une identité propre à ce Pacifique dépecé par les Etats colonisateurs européens depuis deux siècles, un Pacifique dont certains Etats européens continuent de nier la légitimité d’exister en tant que Région viable dans un monde en pleine réorganisation

Conclusion

La France ne veut pas l’indépendance de son outre mer. Il est grand temps qu’entre tradition coloniale et modernité, la France fasse le choix de la modernité. Le discours du président de la république Nicolas Sarkozy à Dakar sur « l’histoire et l’Afrique » (15) est à juste titre controversé, car anachronique. La problématique qu’il développe doit être renversée. Il décrit en effet le drame d’une France empêtrée dans ses contradictions historiques et psychologiques, arrivant difficilement à surmonter son « passé colonial » pour pouvoir enfin entrer dans l’histoire. Il est temps que la France s’applique à elle-même les leçons qu’elle donne aux autres peuples qu’elle a contribué à asservir. Il est temps qu’elle cesse de resservir à ces peuples des solutions datant de sa révolution de 1789 (16)

Nos droits ne sont pas négociables et doivent être respectés. La Nouvelle Calédonie ne doit pas être dépecée et partagée (17) L’Océanie n’est pas l’Europe. Les frontières de l’Europe, toujours en discussion, ne sont pas censées se prolonger jusqu’au Pacifique, même si la France offre son outre mer dans la corbeille de mariage de l’Europe. Au même titre que les jeunes français participent et feront vivre la construction Européenne, notre jeunesse, toutes ethnies confondues, doit construire son avenir dans le Pacifique. Un pacifique respecté, reconnu et en inter relation avec les autres régions du monde.

R.Wamytan

Mai 2008.

Notes


(1) ONU Assemblée Générale 25ème session, résolution 2621 (XXV) du 12 octobre 1970 « déclare que la persistance du colonialisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations représente un crime qui constitue une violation de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux et des principes du droit international »


(2) Le « Conseil de défense de l’Empire » a été créé le 27/10/1940 à Brazzaville par le général de Gaulle.

(3) choix tragiquement illustré par les massacres du 8 mai 1945 à Sétif (Algérie) en ces jours de fête de la victoire, de la capitulation allemande, puis du retour en force en Indochine malgré la proclamation de l’indépendance du Vietnam le 2 septembre 1945 alors que l’ONU vient de proclamer à San Francisco le 27 juin « les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes ».

(4)Maurice VAÏSSE, La grandeur, politique étrangère du général de Gaulle 1958-1969, Paris, Fayard, 1998, 726 p.

(5) Eric DEROO, L’illusion coloniale, Paris, Tallendier, 2005. p 164-165. « En 1945 la France qui tente de se relever de la défaite et de l’occupation sollicite à nouveau son Empire. N’est-il pas synonyme de la Plus Grande France ? Brochure « les colonies pour la libération de la métropole » en pages intérieures « France d’outre mer puissance stratégique. Par son empire la France est présente sur toutes les mers du globe (…) Dans cette guerre (…) les Territoires de la France ont pu jouer un rôle décisif par leur simple situation géographique (…)


(6) Film « les médiateurs du pacifique » : 0h54’ avant la fin. C. Blanc à J.Lafleur « Nous sommes peut-être à quelques heures d’une guerre civile (…) peut être que vous estimez qu’après tout les choses sont mieux ainsi, je sais que dans la population européenne certains estiment qu’il y a des armes d’un côté et il n’y a peu d’armes de l’autre et peut être en effet serez vous engagé dans un combat qui tuera des milliers et des milliers de kanak mais vous savez, comme moi, que la population caldoche n’est pas prête à se battre après qu’il y eut autant de victimes,, vous supplierez la France de venir vous chercher, d’envoyer des bateaux or, à ce moment là je ferai, après en avoir informé précisément le 1er ministre, une conférence de presse et j ‘expliquerai les privilèges sur ce territoire, les capitaux investis aux USA, en Nouvelle Zélande et en Australie, et vous n’aurez aucun soutien et ce jour là, monsieur le député, vos amis se retourneront vers vous en disant qui est le responsable et le responsable ce sera vous monsieur Lafleur ». Curieusement dans le film, il n’est pas fait mention des pressions exercées sur Jean Marie Tjibaou. Pourquoi ? Chercherait t-on à protéger l’image anti-colonialiste de la gauche ?

(7) Film « les médiateurs du pacifique » : 0h11’ avant la fin : Arrivée à Matignon samedi 19h30. M. Rocard « j’ai donc ouvert la séance en disant madame, messieurs il y a ici de la nourriture pour 2 où 3 jours, il y a de quoi s’allonger, je suis libre jusqu’à mardi nous sommes samedi soir mais personne ne sortira, nous ne pouvons pas avertir nos mandants d’une part moi du côté des autres membres du gouvernement, vous de votre côté des vôtres (…) Cette tirade n’a pas été bien accueilli, c’était d’ailleurs bien normal. Déjà J.Lafleur n’était pas très content mais il en avait vu d’autre et il avait une immense autorité sur sa délégation, un peu pater familias, si j’ose dire. C’était un peu moins vrai de la délégation FLNKS beaucoup plus démocratique et beaucoup plus délibérante et l’idée pour Jean Marie Tjibaou et ses compagnons de s’engager à ce point sans une approbation formelle de leurs conseils, comités, directions, leurs assemblées essentielles leur paraissait impossible et pourtant c’était un risque à ne pas prendre d’autant plus que la négociation ne donnerait pas pleine satisfaction à un groupe contre l’autre. Il a donc fallu ré intervenir en leur disant ce n’est pas un principe sur lequel on peut déroger nous sortirons d’ici sans autre rendez-vous et à la sortie ce sera la paix ou la guerre (…) sachez simplement que si nous devons nous retrouver avec la guerre la République française la fera sans faiblesse nous avons naturellement les moyens d’augmenter notre puissance militaire là bas...

(8) Extraits de la motion FLNKS de Gossanah ,Ouvéa ,23-24 juillet 1988: « (…) Le FLNKS est disposé à s’engager plus en avant dans le processus ouvert par les accords de Matignon dès lors que le cadre du plan Rocard n’est pas figé et susceptible d’aménagements sur des questions de fond. La position du gouvernement français qui récuse à l’avance aux parties concernées toute possibilité de négociation de l’accord de Matignon, ne va pas dans le sens de l’ouverture, de la recherche d’un compromis honorable pour tous. La convention du FLNKS d’Iaai donne mandat au bureau politique de prospecter toutes les voies en concertation avec le gouvernement français susceptibles de favoriser la relance de pourparlers en vue d’un accord final » Les journaux métropolitains titrent « le oui mais » ou « le non mais » du FLNKS, en voici quelques extraits : Libération du 25 juillet 1988, (p. 1) « le FLNKS critique le projet Rocard sur la Nouvelle Calédonie – un cactus sur le caillou », (p.2) « le oui minimum du FLNKS à Matignon » ». L’humanité du 25/7/88 titre (p 1) « le FLNKS pour des réaménagements de l’accord – la demande des kanak ». Le Figaro du 26/7/88 titre (p 5) « le oui si, du FLNKS relance le débat. Le canard enchaîné du 27/7/88 titre (p 1) « Tjibaou après Lafleur, les épines ! ». Libération du 29/7/88 titre (p 1) « le oui mais du FLNKS ».

(9) le journal « la Croix » dans son édition du 9 août 1988 titrait : « Le FLNKS au pied du mur : Michel Rocard réclame l’aval du RPCR pour d’éventuelles re-négociations »


(10) Les médias ont largement fait état de cette lettre en en donnant des extraits. (a) Agence kanak de presse (AKP) n°78 27/6/88 (p 1) « (…) le président Tjibaou adressait une lettre à M.Rocard (…) compte tenu des humiliations et des souffrances que nous venons de connaître, écrivait-il, nous souhaitons qu’une période de trois semaines à un mois nous permette de restituer à notre mouvement chacun des points que vous aurez arrêté en tenant compte des intérêts divergents des communautés… Le lourd tribu que notre peuple vient de payer exige que nous partagions d’abord avec lui les mesures de décolonisation que vous comptez prendre pour préparer le scrutin d’autodétermination et surtout la durée que ces mesures exigent pour sauvegarder la liberté de notre peuple au moment de son accession à l’ indépendance » / (b) Le Monde mercredi 29/6/88 (p 9) « (…) Jean Marie Tjibaou a menacé de se retirer si son n°2 refusait de l’accompagner à l’hôtel Matignon (…) le numéro 2 du FLNKS, toutefois, avait convaincu Jean Marie Tjibaou de rappeler fermement la position du FLNKS dès l’ouverture de la réunion du samedi. C’est ainsi que le président du FLNKS avait remis au 1er ministre une lettre balisant sa participation aux conversations (…) L’Etat ne peut s’abriter derrière une position d’arbitre. Il n’est pas juge mais acteur (…) il ne nous est pas possible d’engager immédiatement (l’adverbe était souligné) le peuple kanak dans une voie qui n’offre pas de perspective claire sur son accession à la souveraineté (…) Et le président du FLNKS (…) se justifiait auprès de ses lieutenants (…) c’était bâtir ou faire la guerre (…) » (c) Libération du 29/6/88 (p12) et (d) Nouvel Observateur 1/7/88 (p 26-27).


(11)
(a) Le Monde du 1/7/88 (p 12) « M.Tjibaou se montre convaincu d’obtenir l’aval des militants (…) Devant les étudiants canaques à Paris, mardi, M.Tjibaou , a souligné que dans dix ans, compte tenu des dispositions envisagées dans l’accord de Matignon pour réduire le nombre des fonctionnaires métropolitains sur le territoire et du « gel » de toute immigration, les canaques seront très nettement majoritaires en nombre, ce qui offrira au mouvement indépendantiste des possibilités de victoire électorale » / (b) Le Figaro du 26/7/88 (p 5) « Jean Marie Tjibaou plaide coupable, j’ai été mal éclairé en ce qui concerne le découpage des provinces et le corps électoral » (c) Libération du 29/7/88 (p 8-9) titre : « Nouvelle Calédonie : Rocard répond aux indépendantistes », « le FLNKS se trompe sur l’issue du scrutin d’autodétermination de 1998 : selon lui, les indépendantistes pourraient être majoritaires (…) J’ai eu l’occasion de leur dire qu’il y avait trois formes d’indépendance : à la Guinéenne c’est à dire brutale avec pour conséquence l’isolement et la grande pauvreté, à la Chypriote, avec une partition de l’île, et il y en a une troisième à la Brésilienne, avec le mélange des communautés avec un rapport de force fluide et dynamisant avec l’ancienne métropole (…) (Question du journaliste) vous contestez l’évaluation d’un résultat 60/40 contre l’indépendance que fait le FLNKS ? (…) (réponse) Il est normal que les mélanésiens sous estiment par prudence (…) / (d) Le Monde du 30/7/88 (p 6) « M. Rocard estime que les dirigeants du FLNKS se trompent dans leurs calculs électoraux » / (e) Libération du 20-21/8/88 (p 8) « le corps électoral qui sera appelé a se prononcer sur l’indépendance en 1998, sera majoritairement mélanésien, a en substance affirmé le gouvernement »


(12) Publications internes les plus récentes : a) La révision constitutionnelle du 17 mars 2003 au regard du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes : conséquences pour la Nouvelle Calédonie et les pays d’outre mer, mai 2003, 38 pages - b) Liste « FLNKS pour l’indépendance » élections provinciales de 2004, programme R.Wamytan, 24 pages – c) deux déclarations devant la commission de décolonisation de l’ONU, New York 10 octobre 2005 et 5 octobre 2006, 33 pages - d) note R.Wamytan à l’occasion des élections présidentielles, meeting FLNKS du 14 juin 2007 sur les raisons pour lesquelles le FLNKS a signé l’accord de Nouméa, les dérives constatées et les solutions proposées, 9 pages. - e) note de synthèse du comité des signataires de l’accord de Nouméa, Paris, 19-21 décembre 2007, 11 pages.

(13) Livres du général Maurice Faivre. a) Les archives inédites de la politique algérienne, 1958-1962, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 411 à 415. / b) Il n’est point de secrets que le temps ne révèle, Paris, CEHD, Ministère de la Défense, Lavauzelle, 1998, 280 p. Chapitre 13 : Services secrets et « troisième force » : le Front algérien d’action démocratique (FAAD) 1960-1962, p. 203 à 224. Extraits : « (…) Les tentatives de troisième force, visant à susciter des opposants politiques et militaires au FLN, ont été répétées pendant cette guerre (…) Après cinq ans de guerre, la politique algérienne du gouvernement rencontre de sérieuses difficultés (…) la dégradation des relations interalliées va conduire au vote défavorable de l’ONU (…) C’est dans ce climat que Michel Debré propose au général De Gaulle son plan de souveraineté partagée pendant 25 ans avec une Algérie qui serait autonome en tous domaines sauf en matière de défense et de relations extérieures. Ce plan implique l’existence d’une troisième force dont les commissions d’élus qui se réunissent à l’automne constitueraient la partie politique (…) En août 1960, une directive très secrète de M. Debré prescrit au SDECE de créer une organisation musulmane en métropole, puis en Algérie (…) l’antenne du Service Action sera chargée de cette mission (…) le projet est de susciter une troisième force dans le cadre d’une association avec le concours d’européens influents (…) Ayant obtenu le feu vert de l’Elysée, le FAAD est crée officiellement le 11 avril lors d’une conférence de presse MNA à Fribourg (…) les exécutants ignorent qu’ils sont manipulés par un service français (…) Pour que le FAAD puisse avoir un crédit dans la masse musulmane, il importe que le soutien qu’il reçoit du gouvernement français et de ses représentants ne soit pas connu du public (…) l’objectif politique du FAAD est ainsi une République Algérienne associée à la France (…) la doctrine est désormais de s’associer avec la France pour une génération et d’éliminer le FLN accusé d’être entre les mains des communistes (…) Le FAAD est ainsi une organisation nouvelle qui s’établit en parallèle à celle du FLN (…) un comité a été constitué en trois jours et comprend des personnalités connues (…) L’échec des négociations d’Evian et de Lugrin fournit au premier ministre l’occasion de développer le projet de troisième force (…) plan d’action (…) déclaration publique de ralliement à l’idée d’association (…) L’épisode du FAAD constitue une intervention originale d’un service secret dans la mise sur pied d’une mouvement politique qui vise au mieux à supplanter, au minimum à concurrencer un parti révolutionnaire (…) cette expérience illustre l’évolution de la politique algérienne de M. Debré qui visait d’abord une association de longue durée de l’Algérie avec la France (…) Il était logique que ces partisans de l’association avec la France se rapprochent des européens d’Algérie autres absents de la négociation »

(14) statistiques INSEE « Evolution de la population néo-calédoniennes entre 1887 et 2004


(15)
Extraits de l’allocution de N.Sarkozy, Président de la République, prononcé à Dakar le 26/7/2007 « (…) le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire (…) Ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles (…) L’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable ou tout semble écrit d’avance. Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin (…) Le défi de l’Afrique c’est d’entrer d’avantage dans l’histoire (…) Le problème de l’Afrique c’est de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l’éternel retour (…) Le problème de l’Afrique c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu (…) n’arrive pas à se libérer de ses mythes

(16) Jean Philippe Thiellay, Droit des outre-mers , Paris, Dalloz, 2007, extraits, p.5-6 « Les Etats généraux de mai 1789 marquent la première participation de représentants de l’outre mer à une assemblée nationale. (…) A l’instar des grands clubs politiques, des cercles s’affrontent sur les orientations à donner à la politique coloniale. Face au club Massiac, représentant du lobby des planteurs favorables à l’esprit d’autonomie, la Société des amis des Noirs, créée en 1789 par Brissot, défend l’égalité des droits. (…) les premières assemblées révolutionnaires sont plutôt favorables à l’autonomie locale. (…) L’outre mer fait paradoxalement son entrée dans le droit positif français avec l’affirmation que le régime législatif métropolitain ne s’y applique pas. (…) Les assemblées coloniales (…) invitées à élaborer des projets de statut (…) La loi des 24-28 septembre 1791 répartit les compétences en réservant à l’assemblée législative certaines matières, comme le régime extérieur, la défense, le régime commercial ou l’organisation de la justice, toutes les autres étaient laissées aux assemblées coloniales. (…) Cette large autonomie (…) à la demande des colons, dans une construction de type fédéral, provoque la révolte des esclaves à partir de Saint Domingue en 1791.

(17) extraits du livre d’Alain Peyrefitte Faut-il partager l’Algérie ?, Paris, Plon, 1961, 362 p. « (…) l’affaire d’Algérie oppose deux groupe d’hommes aussi convaincus de la légitimité de leur présence, aussi profondément attachés au même sol et aussi décidés, pour défendre leurs prérogatives, à imposer leur solution ; d’un mot elle met aux prises deux nationalismes (…) populations musulmanes dont la majorité aspire incontestablement à l’indépendance, populations non musulmanes qui craignent d’être opprimées dans une Algérie arabe et auxquelles se joignent des Musulmans qui désirent rester français (…) deux peuples également chez eux, indéracinables (…) les Européens d’Algérie sont chez eux en Algérie et non en Europe (…) Comment faire coexister les deux communautés ? Comment permettre aux Européens de vivre comme Algériens tout en restant Français ? Comment permettre aux Musulmans d’être leurs propres maîtres sans être ceux des Européens ? (…) l’association (…) l’autodétermination qui a été reconnue aux populations algériennes au sein de la République Française, appelle logiquement un corollaire : l’autodétermination de la population européenne au sein de l’Algérie (…) Si le FLN se refusait à transiger (…) droit de sécession (…) séparer ceux qui ne peuvent se souffrir, regrouper de part et d’autre ceux qui sont décidés à vivre ensemble (…) Le FLN ne peut être un partenaire pour la France tant qu’il reste insaisissable. Il le deviendra quand la France aura prise sur lui. La crainte du partage sera pour lui le commencement de la sagesse (…) rien n’empêcherait les deux moitiés ou les différentes régions de l’Algérie de se fédérer ensuite malgré leurs tendances politiques différentes (…) ce qui est digne de la France (…) une société multiraciale (…) dans lequel les hommes auront librement choisi de vivre ensemble et de lier leur sort à celui d’un grand pays (…) Un plan d’action (…) étapes dont chacune ne serait franchie qu’au cas où l’adversaire demeurerait intraitable (…)

1er stade : création de territoires autonomes (…) la France proposerait alors au FLN de reprendre le dialogue, sachant que s’il s’entêtait, la partition risquerait de se réaliser (…) le FLN serait peut être plus enclin à composer. On offrirait de l’associer à la mise sur pied d’une formule fédérale (…)

2ième étape : la confédération. (…) statut d’Etats confédérés (…) tout en entretenant d’étroites relations avec la France (…) les français d’Algérie désirent rester français et en Algérie (…) la création d’une Union fédérale ou confédérale répondrait à ce vœu (…) double citoyenneté pour ceux qui la souhaiteraient (…) ainsi la France aura-t-elle poursuivi jusqu’au bout son œuvre de décolonisation (…) seul moyen de rendre un jour possible (…) la création d’un Etat franco-musulman qui pourrait adopter une structure de fédéralisme (…) l’association interne des communautés et l’association externe avec la France (…) la confédération des trois Etats pourrait à la longue se transformer en fédération (…)

3ième stade : la partition. Le FLN, qui aurait, déchirant l’unité algérienne, préféré une révolution xénophobe à une évolution harmonieuse, se verrait cependant offrir la direction de l’Etat constantinois (…) Dès lors que le référendum se sera déroulé dans des conditions loyales (…) il sera difficile au FLN de s’opposer à la reconnaissance par l’ONU des deux autres Etats, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes veut qu’un pays appartienne à ceux qui l’habitent de père en fils (…) Fédération qui pourrait d’ailleurs s’étendre à toute l’Afrique du Nord (…) une association interne par fédération entre les différentes communautés ou les différentes provinces de l’Algérie et une association externe avec la France complément naturel du pays (…) la France se doit pour être fidèle à son génie de repousser en ce qui la concerne une partition (…) mais elle ne peut le faire malgré eux. Elle se doit donc aussi de réfléchir à l’éventualité du partage (…) la partition doit rester l’ultima ratio (…) si d’autres méthodes ont échoué (…) la France elle-même (…) ayant acquis de nouveau par son désengagement politique une position d’arbitre (…) Des trois hypothèses envisagées, francisation, sécession, association (…) il n’exclut aucune (…) Il ne s’agit pas de diviser pour régner, mais de distinguer pour unir (…) Mieux vaut la « situation » du partage (…) que la « situation » de l’évacuation (…) Le but est l’association, le moyen est la fédération, le partage n’étant que le risque à courir dans ce processus. / Extraits tirés des pages : Avant propos, pages 19 à 24, page 40, pages 46.47, page 77, pages 87 à 94 (plan d’action), pages 153 à 163, page 167, pages 195 à 198, pages 348 à 350, pages 352 à 358.

lundi 21 avril 2008

Eclairage sur le drame autour de l'"Ave Maria"

Au moment où s'ouvre le procès de Laurent Vili, meutrier présumé de Jean marie Goyetta, pour information et pour éclairage sur ce drame, voici une note d'information réalisé au moment du conflit de saint Louis...

DE SAINT-LOUIS (Nouvelle-Calédonie)

A LA MELANESIE

A une heure de grande écoute le dimanche 5 octobre 2003, la chaîne de télévision TF21 diffusait dans l’émission « 7 A 8 » un sujet intitulé « guerre en kanaky ». A partir de l’histoire d’un jeune joueur de rugby de Montpellier le thème de l’épuration ethnique était abordé à partir du conflit de Saint-Louis (Nouvelle-Calédonie). Ce rugbyman wallisien est un des meurtriers présumé de Jean-Marie GOYETTA tué par balles en février 2002 lors d’affrontements armés entre kanak et wallisien. Après un an de prison, Laurent VILI venait d’être libéré.

Ce reportage apparaît très orienté à plus d’un titre. Il n’est question que d’une chefferie celle du Mont-Dore, alors que l’image de la grande case (qui apparaît, en deux fois) est celle de la chefferie de Saint-Louis, chefferie concernée par le problème foncier traité dans l’émission. Seul le porte-parole de la chefferie du Mont-Dore s’exprime. Il est acteur principal du scénario traitant du départ des familles wallisiennes dans la colère et la souffrance. Les jeunes kanak sont montrés comme des combattants (terroristes) de la liberté plantant le drapeau du FLNKS sur « leur prise de guerre » c’est à dire les terres et les maisons dévastées et abandonnées par les familles wallisiennes.

Le film se termine sur des paroles de Laurent VILI concernant la communauté de destin inscrit dans les accords de Nouméa signés le 5 mai 1998. Une interrogation s’impose, les kanak sont-ils capables de respecter leur parole ? Sont-ils des terroristes qu’il convient de combattre et de neutraliser ? Peut-on leur faire confiance ?

Au delà de ce reportage, se profile l’enjeu des élections de Mai 2004 : le renouvellement des Assemblées de Provinces du Congrès et du Gouvernement. Ces élections seront capitales car elles ouvrent la dernière période (10 ans) précédant la sortie du processus de l’Accord de Nouméa avant le référendum d’autodétermination de 2014. Les grandes manœuvres de l’Etat Français constamment opposé à l’indépendance de la Kanaky vont s’intensifier directement ou indirectement via ses alliés locaux les partis anti-indépendantistes. Les coups tordus des experts en déstabilisation seront de plus en plus nombreux, comme a l’accoutumé, à l’approche des échéances importantes.

Ce reportage tombe, comme par miracle, un mois après le passage de Jacques CHIRAC en Océanie. Il est venu louer les îlots de stabilité et de prospérité que sont les Territoires français à côté du marasme des Etats Mélanésiens.

Ce documentaire vient confirmer des thèses de plus en plus à la mode sur les conflits identitaires et ethniques. Ces thèses expliquent en long et en large qu’après la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide on assiste à une rétribalisation ou une re-balkanisation du monde sur une base ethnico nationaliste. Certains auteurs tel François DOUMENGE s’engouffre dans les brèches ouvertes afin de proposer des solutions pour la Nouvelle-Calédonie par exemple : remplacer le « Pacific Way » par la « conciliation durable » c'est-à-dire l’augmentation des revenus et du niveau de vie. A côté de la balkanisation et du « Trou Noir » Mélanésien, Doumenge propose le nivellement par le métissage pour une stabilité et une prospérité à long terme en Mélanésie « française ». Cette thèse a été largement reprise par un article de l’Express daté du 31 juillet 2003.

A partir d’une grille d’analyse croisée, il convient de se poser la question : le conflit de Saint-Louis est-il un problème isolé et réduit à une revendication foncière ayant engendré des «bagarres, entre kanak et wallisiens ou s’agit-il d’une action provoquée, tendant à utiliser un contentieux foncier engendré par la colonisation et l’évangélisation pour démontrer que l’Etat Français est seul capable d’assurer la stabilité dans un océan de désordre ?

Au-delà de l’analyse seront proposées des orientations au niveau local et régional pour prévenir ces actions de déstabilisation dans le cadre de la construction du Pacifique. Vu sous cet angle , le conflit de Saint Louis s’ouvre alors sur des perspectives nouvelles.

I) Historique du contentieux

  1. Le conflit de Saint-Louis n’a pas commencé avec l’explosion de violence des 7 et 8 décembre 2001. Il s’agit d’une conséquence de la colonisation et de l’évangélisation. La colonisation française fût violente et répréhensive, dans cette région du Sud de la grande terre, dés la prise de possession. Suite aux révoltes Kanak de 1855, les opérations de représailles se sont succédées à un rythme effréné. Elles ont été suivies, après la reddition et l’exécution des chefs du Sud (Mont-dore, Païta et Dumbéa), de la spoliation des terres.

Celles de la région de Saint-Louis sont attribuées à la Mission Catholique. De grandes espaces servirent de « zone de sécurité » pour protéger le nouveau chef lieu Nouméa, anciennement Port de France, des incursions des tribus du Sud. La mission catholique devient propriétaire de plus de 10000 hectares. Elle y installe des catéchumènes du Nord-Est de la grande terre pour l’évangélisation des kanaks du Sud qui ont survécu aux massacres, à la déportation et à l’exil.

La mission catholique de Saint-Louis pris une telle ampleur qu’elle était appelée « le Petit Vatican ». Autour d’elle s’installèrent les catéchumènes de Touho. Vinrent s’ajouter les clans du Sud chassés de leurs terres puis des réfugiés de La Foa, Boulouparis expulsés de leur région pour avoir participé aux révoltes du Grand Chef ATAÏ en 1878.

  1. Installation des familles wallisiennes

Dans les débuts des années 1960, le Père Paul CROS, missionnaire mariste, récemment nommé curé de Saint-Louis s’installe à la Mission. Il est accompagné de cinq familles wallisiennes venant de Thio son ancienne paroisse. De bonne foi pensant rendre service à ces familles qui avaient perdu leur emploi minier à Thio, Il leur loua des parcelles de terre près de l’Eglise au lieu dit « Val de l’ave maria », un ancien centre de repos des Sœurs de Saint Joseph de Cluny. Commença alors l’installation de très nombreuses familles Wallisiens et Futuniennes. Elles passèrent de cinq au début 1960 à 171 familles au moment du déclenchement du conflit en décembre 2001, ce qui représentait une population d’un millier de personnes à proximité d’une communauté kanak avoisinant les 1500 personnes.

  1. Tentatives de résolution

Au vu de l’augmentation du nombre des familles Wallisiennes/Futuniennes, les responsables coutumiers kanak interpellent, sans succès, les missionnaires et les responsables coutumiers de cette communauté.

Un accord tacite existait, depuis longtemps, entre la mission Catholique et le village kanak. Au fur et à mesure de l’accroissement de la population Kanak, la Mission devait transférer des parcelles à la « réserve tribale ».

La dernière en date est intervenue en 1978 et portait sur les parcelles du bord de la « Thy » une rivière devenue « la frontière » entre les deux communautés. La pression démographique kanak nécessitait l’attribution des terres au de là de la « Thy » c'est-à-dire celles ou étaient installées à titre transitoire et révocable les familles Wallisiennes/Futuniennes.

Lors des revendications foncières des années 1980, toutes les terres de la mission catholique furent revendiquées par les chefferies de Saint-Louis et du Mont-dore. Elles coïncidaient avec la montée de la revendication nationaliste Kanak, provoquant de plus en plus de malentendus entre les deux communautés. Essentiellement d’obédience RPCR donc anti-indépendantiste, la population Wallisienne/Futunienne s’entendait de moins en moins avec le village kanak indépendantiste à majorité Union calédonienne – FLNKS.

Le « Seuil de tolérance » généralement admis par un groupe humain accueillant un autre est de l’ordre de 12 % soit pour Saint-Louis environ 200 personnes. La population Wallisienne/Futunienne était depuis plusieurs années près de 1000 soit 5 fois le seul de tolérance. Cette situation entraîna ainsi des conflits de voisinage incessant notamment de la part de la jeunesse. L’action politique autour des années 1984 et 1988 accentua encore l’incompréhension, les malentendus et la rancœur.

Depuis leur installation en Nouvelle-Calédonie à la fin des années 1940, les Wallisiens/Futuniens ont souvent servi de bras armés et de boucliers à la population européenne face aux kanak. Ces immigrés océaniens dont les ancêtres avaient déjà foulés le pays kanak bien avant la colonisation européenne, ont été instrumentalisés. Les Européens, en bon colonisateur, avaient su, à merveille, flatter leur « supériorité» sur les kanaks avec qui ils étaient pourtant liés par des relations familiales ancestrales.

Face à la problématique de l’Indépendance Kanak, le nombre des Wallisiens/Futuniens présents en Nouvelle-Calédonie devenait un enjeu de taille. Ils représentent près de 20 000 personnes contre 15 000 sur leurs îles d’origine. Le camp anti-indépendantiste a su au mieux exploiter leur nombre, et leur dépendance alimentaire par les emplois fournis. La situation des Wallisiens/Futuniens constituait ainsi une proie facile pour les prédateurs politiques défendant la Nouvelle-Calédonie française.

  1. Les solutions préconisées

Dès la signature des Accords de Matignon en 1988 commencèrent les négociations foncières. A l’époque les familles Wallisiennes/Futuniennes occupaient un espace d’environ 20 hectares, mais il continuait à s’étendre. Les conflits de voisinage se multipliaient. Après plusieurs années de discussions entre les chefferies kanak, les coutumiers Wallisiens/Futuniens, la Mairie du Mont-dore, la Province Sud, l’Etat Français et l’ADRAF un accord est intervenu.

Cet accord portait sur la rétrocession de l’ensemble des terres appartenant à la Mission catholique (en fait à la Congrégation des Pères maristes) à un GDPL Kanak qui porterait les titres de propriété pour le compte de la tribu de Saint-Louis. Le GDPL Ko Laé Vé laissait 23 hectares à la disposition de la communauté Wallisienne/Futunienne. L’ADRAF qui avait racheté l’ensemble des terres, rétrocédait près de 500 hectares au GDPL et les 23 hectares où étaient installés les familles Wallisiennes/Futuniennes à la Province Sud chargée de procéder à l’aménagement de cette zone pour en faire un lotissement. A l’issue des travaux, 120 lots seraient attribués à titre privé aux 120 familles clarement identifiées contre paiement d’une somme de 300 000 FCFP par famille.

Afin d’éviter la spéculation sur ces terres que la tribu considérait toujours comme sienne, une condition était posée à l’attribution des lots. Pendant 30 ans le bénéficiaire du lot n’aurait pas le droit de vendre son lot sauf à l’ADRAF qui le rétrocéderait au GDPL.

Ce montage accepté par l’ensemble des parties fut présenté aux coutumiers des Royaumes de Wallis et Futuna en 1996 lors d’une visite officielle en Nouvelle-Calédonie. La parole coutumière laissée par ces dignitaires aux habitants du Val de l’Ave Maria était basée sur le « respect » du aux kanak pour leur hospitalité. Parallèlement un travail de rapprochement fut mené à travers des actions communes initiées à la paroisse catholique. Au niveau politique, l’irruption des partis Wallisiens Futuniens dénommés U.O. (Union Océanienne) puis R.D.0 (Rassemblement Démocratique, Océanien) membre du FLNKS dès 1998, favorisa le dialogue dans un esprit de compréhension et de tolérance entre les deux communautés. Dès qu’un conflit de voisinage, essentiellement entre les jeunes, surgissait les responsables se réunissaient aussitôt pour régler le problème. Peu à peu une cohésion d’ensemble émergeait donnant corps à la « communauté de destin ».

  1. Les signes avant coureur de la catastrophe

Du fait de son appartenance politique au FLNKS, la tribu de Saint-Louis a toujours été l’enfant pauvre de la Commune du Mont-Dore gérée depuis 1977 par une majorité anti-indépendantiste. Les acquis en matière d’infrastructures primaires, aide à l’habitat, emplois communaux aide aux défavorisés ou aux scolaires, ont été obtenus à la force du poignet. A plusieurs reprises des blocages de la R.T.1 ou de la Mairie ont du être effectués pour que la tribu soit entendue et prise en compte dans ses revendications légitimes.

A maintes reprises, les responsables coutumier kanak ont précisé aux collectivités (Mairie et Province Sud) qu’il serait lourd de conséquence si la Val de l’Ave Maria était avantagé par rapport à la tribu. Compte tenu des difficultés rencontrées par les chefferies pour faire accepter l’idée aux habitants de Saint-Louis de se dessaisir des 23 hectares, il était urgent au préalable d’aider les projets tribaux et notamment l’assainissement général avant l’aménagement du nouveau lotissement Wallisien/Futunien. Dans le cas contraire, une opposition serait prévisible de la part de la population tribale.Malgré les recommandations de prudence, l’assemblée de la Province Sud votait un budget de 300 millions de FCFP pour l’aménagement du nouveau lotissement. Bien avant que des crédits soient débloqués pour la tribu, les travaux débutaient au Val de l’Ave Maria. Le prétexte évoqué était qu’au niveau tribal les projets n’avançaient pas: les deux chefferies ne s’entendaient pas pour la réalisation des projets tribaux.

Parallèlement des luttes intestines éclataient au sein de la communauté Wallisienne/Futunienne. D’une par entre partisans du RPCR et ceux du FLNKS sur les questions politiques et la conduite à tenir vis-à-vis des kanak, d’autre part entre les originaires des différents districts coutumiers de Wallis. La communauté était loin d’être homogène. Cette situation se compliqua encore par l’arrivée de nouvelles familles malgré l’accord passé avec les chefferies qui avaient interdit l’installation de personnes supplémentaires.

De surcroît on assista à une spéculation sur les terrains. Des familles quittaient la Val de l’Ave Maria, d’autres s’y installaient contre paiement à des intermédiaires. Ces derniers empochaient des « loyers » illégaux. Il convient d’ailleurs de noter que sur l’ensemble des familles de l’Ave Maria à peine 20 % s’acquittaient du loyer de 1000 FCFP / mois demandé par la mission catholique. Des familles entières ont vécu plus d’une vingtaine d’années à l’Ave Maria sans avoir jamais rien versé à la mission catholique au titre de ce loyer plus que modeste et cela malgré les nombreux rappels du conseil pastoral.

Certains, fort de leur droit et bien conseillées prétextaient le fait que les terrains avaient été mis gracieusement à leur disposition par le RPCR et que la terre appartenait à la France non à la Mission catholique et encore moins aux kanak. On leur rapportait que les Wallisiens/Futuniens du Val de l’Ave Maria étaient au même niveau que les kanak, tous avaient été installés à Saint-Louis par les Missionnaires : les kanak en 1859 et les wallisiens/Futuniens en 1960. En conséquence ils avaient les mêmes droits que les kanak de Saint-Louis sur les terres.

    1. L’explosion

Cette situation malsaine et insidieusement entretenue multiplia les conflits de voisinage entre jeunes des deux communautés. Des rumeurs commencèrent à courir sur la trahison des responsables coutumiers kanak qui ont vendu la terre kanak aux Wallisiens/Futuniens. Le mécontentement s’amplifia sur les différences de traitement de la part des collectivités. Malgré l’incessant travail de concertation des coutumiers kanak et Wallisiens/Futuniens, la 1er semonce annonçant l’imminence d’une explosion éclata le 13 novembre 2001 avec le barrage érigé sur la R.T.1 par les Wallisiens/Futuniens suite à des caillassages de voitures opérés par des jeunes kanak.

L’érection de ce barrage fut considérée par la tribu comme une véritable déclaration de guerre. Le barrage de la RT1 est en effet le moyen traditionnel de la tribu pour se faire entendre. Les barrages sont toujours érigés au même endroit, au carrefour du lieu dit « quatre chemins » c'est-à-dire exactement celui choisi par les Wallisiens/Futuniens en ce 13 novembre 2001.

Les discussions qui se dérouleront après la levée des barrages sous l’égide du curé de la paroisse portèrent essentiellement, de la part des jeunes de Saint-Louis, sur le manque de respect des Wallisiens/Futuniens alors que les kanak leur avait cédé du foncier. Malgré une volonté commune de régler ce nouveau problème par la concertation avec la mise en place d’un groupe de travail, les évènements se précipitèrent. Le 7 décembre 2001 une altercation éclata, à la sortie du collège de Boulari, entre un jeune kanak et un groupe de Wallisien accompagné d’un Kanak habitant le Val de l’Ave Maria. Ce fut le détonateur qui enclencha une réaction presque irraisonnée des jeunes kanak qui se mirent à incendier des maisons et tirer sur les familles. Dans la nuit un barrage fut érigé au lieu dit « quatre chemins », une seule revendication était exprimée : levée du barrage contre l’évacuation totale des 171 familles pour le 8 décembre 2001 à 18 heures. Après discussion avec les autorités un délai était fixé au 8 mars 2002.

  1. – Les acteurs et les stratégies dans le conflit

    1. La Chefferie de Saint-Louis

Composée essentiellement des clans originaires de la région Drubéa-Kapume, la chefferie de Saint-Louis se concerta pour préciser sa démarche. S’agissant avant tout d’un problème de terre (les 23 hectares) il fallait régler le problème avant tout à ce niveau. La province Sud devait, en toute logique restituer les 23 hectares au GDPL. Une discussion avec les familles Wallisiennes/Futuniennes devait suivre pour les convaincre à se reloger dans les lotissements voisins avec l’aide des collectivités. In fine, si les anciennes familles une vingtaine souhaitaient rester vivre sur des terres redevenues terres coutumières (GDPL), les modalités de leur installation seraient fixées avec les chefferies. Parallèlement il convenait de solliciter l’intervention des collectivités pour relancer les projets tribaux (assainissement tribal, insertion et formation de la jeunesse, amélioration des conditions de vie des populations aide au développement économique etc…). Cette solution à « l’océanienne » respectait le droit de chacun et s’inscrivait dans la démarche de l’Accord de Nouméa.

    1. La Chefferie du Mont-Dore

Elle est composée d’un grand chef originaire du Mont-Dore et majoritairement d’un ensemble de clans extérieurs à la région Djubéa-Kapune auquel s’est joint le Grand Chef de l’Ile Ouen et sa famille. Cette chefferie, poussée par une jeunesse qui s’est radicalisée n’avait qu’un seul objectif, l’expulsion des familles Wallisiennes / Futuniennes sans condition avant le 8 mars 2002. Une autre revendication s’ajoutait à celle-ci : l’amnistie générale des faits commis les 7 et 8 décembre 2001.

    1. La jeunesse de Saint-Louis

La tribu de Saint-Louis composée d’environ 1500 personnes est à l’image de la Nouvelle-Calédonie, sa jeunesse est largement majoritaire. Malgré la proximité d’une école primaire et d’un collège de la direction de l’enseignement catholique, peu de jeunes parviennent jusqu’au BAC, le taux d’échec scolaire est important. En fin 2002 seules trois jeunes filles ont réussi le BAC. Dès 1994, la chefferie de Saint-Louis a mis en place des cycles d’études accompagnées pour combattre l’échec scolaire, cette initiative commence à porter des fruits. Une perte de repères culturels, une forte délinquance, une violence intrinsèque caractérisent une bonne partie de cette jeunesse qui fait des Wallisiens/Futuniens les boucs émissaires de leurs problèmes. Au-delà des conflits de chefferie cette jeunesse souhaite avant tout qu’on s’occupe de leurs revendications.

    1. Les Wallisiens –Futuniens

Deux groupes émergent de cette communauté en apparence homogène :

- Un groupe RPCR mené par des responsables locaux du parti anti-indépendantiste avec pour seule stratégie : la résistance face aux kanak et s’il faut sortir du Val de l’Ave Maria, la communauté doit être indemnisée et relogée sur un terrain de 23 hectares, avec les mêmes conditions d’installation 120 lots à un coût d’acquisition à 300 000 F CFP.le lot, à charge pour l’Etat ou la Province Sud de trouver le terrain et le financement.

- Un groupe R.D.O. (FLNKS) soit le 1/3 de la communauté qui partage la même démarche que la chefferie de Saint-Louis.

    1. L’Union Calédonienne (FLNKS)

- Ce parti est très présent dans le conflit puisque la tribu de Saint-Louis est Union Calédonienne à près de 90 %. Les deux courants de l’Union Calédonienne s’y trouvent représentés.

- Le courant UC/FLNKS représenté par la chefferie de Saint-Louis soutenu par le bureau politique du FLNKS. L’idée défendue par ce courant est que l’UC doit restée partie intégrante du FLNKS afin de continuer à jouer un rôle de locomotive de la lutte de libération kanak.

Le second courant défend une UC revendiquant une identité propre par rapport au FLNKS, ce courant est représenté par le grand chef de l’Ile Ouen, Emmanuel Tein et sa famille avec ses partisans au sein de la chefferie du Mont Dore. Il a par ailleurs le soutien du bureau de l’Union Calédonienne et reste animé d’un certain activisme pour « bousculer » l’Etat ou le RPCR.

    1. Le RPCR.

Ce parti est impliqué dans ce conflit via la mairie du Mont-Dore, la province Sud le grand chef du Mont Dore, Robert Moyatea et ses responsables ainsi que les coutumiers Wallisiens et Futuniens. Le RPCR a largement soutenu et favorisé l’installation des familles à l’Ave Maria dans un but électoral face aux kanak indépendantiste.

Jusqu’en 1977, l’Union Calédonienne détenait la majorité au conseil municipal, la tendance s’est inversée suite à la politique du peuplement du Mont-Dore qui a vu sa population multipliée par 5 entre 1969 et 2002. Cette immigration a largement profité au RPCR qui règne depuis 25 ans sur un conseil municipal largement acquis à sa cause.

Suite au conflit, le RPCR présentait deux positions contradictoires :

Il se dit prêt d’une part à aider les familles Wallisienne et Futunienne à se réinstaller en dehors de Saint-Louis et d’autre part à soutenir les projets tribaux.Il refuse pourtant de rétrocéder les 23 hectares au GDPL.

    1. Le Sénat et le conseil coutumier Drubéa Kaponé.

Ces deux instances de la coutume ont été sollicitées pour aider au règlement du conflit. Elles ont dès le départ adopté une position de médiateur.

h. L’Eglise Catholique.

Grande absente du conflit, alors qu’elle est à l’origine du contentieux l’Archevêché ne s’est jamais exprimé sur le sujet laissant ses prêtres vivre dans un climat d’insécurité permanente et se débrouiller seuls face aux parties concernées.

i. L’Etat Français

Comme à son habitude le principal responsable de la situation s’est présenté sous ses plus beaux atouts de garant de la paix de la sécurité et de la stabilité. Le contentieux de Saint Louis est né avec la colonisation française qui a spolié ces terres aux chefferies du sud en 1855 avant de les leur rendre officiellement en 2003 soit 148 ans après sous la pression des évènements.

Garant et compétent en matière d’ordre public et de sécurité, l’Etat s’est contenté du minimum, ne pouvant éviter d’ailleurs les morts et les blessés du conflit. Durant deux ans la zone de Saint Louis était marquée par une insécurité chronique.

Les chefs étaient souvent interpellés, mais ils n’avaient en fait à offrir que leur autorité morale face aux troubles et fusillades. Dès la fin du régime de l’indigénat en 1946, l’Etat colonial a retiré aux chefferies une partie de la compétence en matière d’ordre public dans les tribus. En retour les chefferies ont du assumer seules et à leur risque et péril le désordre. Aux demandes maintes fois réitérées pour retrouver en partie cette compétence au travers de la mise en place d’une police coutumière il est précisé que la loi organique de 1999 ne le permet pas sauf si : « la Nouvelle-Calédonie entre dans le cadre des nouvelles dispositions de la révision constitutionnelle du 13 mars 2003 » (Ministre de l’Outre-Mer 17 septembre 2003)

En terme de stratégie, deux positions différentes de l’Etat se sont ainsi exprimées :

Le Gouvernement Socialiste par le biais du Délégué de Gouvernement LATHASTE abordait le problème dans sa globalité en mettant en place des groupes de travail pour « rattraper » les projets en retard (insertion des Jeunes, aide à l’habitat, soutien au développement économique etc.)

S’agissant de la réinstallation des familles Wallisiennes et Futuniennes, la préférence se ferait sur la base du volontariat. L’Etat ne forcerait personne à partir. La solution au conflit se déterminerait à la fin. Sur cette base, le Haut-commissaire organisait chaque mois une réunion destinée à faire le point sur l’état d’avancement des dossiers. Toutes les parties concernées étaient invitées. Un comité de médiation, mis en place et présidé par le Vicaire Général du diocèse de Nouvelle-Calédonie (le Père APIKAWA), préparait ces réunions de travail.

Le Gouvernement RPR part le biais du nouveau Haut-Commissaire Daniel CONSTANTIN en juillet 2002 s’est quant à lui attaché à deux préalables : la sécurité de la zone et le départ des familles Wallisiennes/Futuniennes. Les fondements du contentieux seront traités une fois les préalables résolus. Le Haut-Commissaire a donc cherché dès son arrivée à trouver un accord global sur le départ de la communauté. Cet accord s’est formalisé en novembre 2002 lorsque les représentants Wallisiens/Futuniens ont accepté de quitter le Val de l’Avé Maria.

La mort de J.M.GOYETTA et G.MOTUKU ainsi que les nombreux blessés, avaient rendu caduque toute tentative de cohabitation future.

j. Issue du conflit après l’accord de novembre 2002.

Après cet accord formel, le Haut-Commissaire allégeait le dispositif de sécurité et s’attachait avec les collectivités concernées à réinstaller les familles à l’extérieur du Val de l’Ave Maria.

Suite à des évènements internes à la tribu, une case était incendiée le 25 juin 2003. La faute fut attribuée à des Jeunes Wallisiens/Futuniens et la tension remonta d’un cran, le dispositif de sécurité maximale fut repositionné à la Mission de Saint- Louis. Le 25 août suivant une opération de perquisition à la tribu dégénérait et un groupe de jeunes occupe la Mission exigeant le départ sans condition des 30 dernières familles de l’Ave Maria. Le 17 septembre 2003 c’est chose faite après plus de 40 ans d’occupation des lieux les familles Wallisiennes/Futuniennes quittent définitivement le Val de l’Ave Maria.

3- Le lieu – les enjeux.

Il est clair que Saint-Louis n’est que le début d’un puzzle qui se met en place. Ce qui n’était qu’un problème de terres a été présenté comme une opération « d’épuration ethnique » afin de conforter l’idée que sans la France la Nouvelle-Calédonie ne serait que chaos à l’image du « Trou Noir » Mélanésien.

Dans la tête des nombreux stratèges présents en Nouvelle-Calédonie le choix de Saint-Louis n’est pas neutre dans les stratégies de la tension ethnique mise en œuvre pour conforter le rôle et la présence de la France en Nouvelle-Calédonie et au-delà en Mélanésie.

3.1 Saint-Louis comme lieu stratégique

Saint-Louis est situé en Province Sud majoritairement dominé par un parti de droite anti-indépendantiste. Les kanaks largement colonisés marginalisés et exclus des circuits de prise de décision représentent désormais une minorité et dans leur commune (le Mont-Dore) et dans la Province (Province Sud).

Le choix de Saint-Louis comme lieu TEST de déstabilisation pensée et organisée a été arrêté de par la situation particulière de cette tribu. Saint-Louis contient en elle-même tous les ingrédients et les traumatismes de la colonisation. Deux chefferies (Saint-Louis – Mont-Dore) qui se disputent un même espace, une même population et donc la légitimité des lieux, des clans regroupés par les Missionnaires Maristes ou ayant trouvé refuge là après avoir été expulsés de leurs terres, une jeunesse sous éduquée et sous qualifiée qui plus est en perte de repère , un fort taux de chômage, la présence d’une communauté d’océaniens Wallisiens/Futuniens etc… Un mélange explosif qui n’a pas manqué d’attirer l’attention des experts en déstabilisation par le moyen des conflits identitaires et ethniques qu’il convient d’attiser à dose homéopathique.

Dans quel but ?

a) Démontrer que le projet d’indépendance porté et revendiqué par le FLNKS est une utopie, une illusion. Etre Indépendant c’est voir se multiplier à l’infini des conflits de type Saint-Louis, donc le scénario du chaos programmé à l’image de la Mélanésie. Seule la France est garante de l’ordre et de la prospérité. Saint-Louis devient l’épouvantail le repoussoir des anti-indépendantistes. Les images de TF1 du 05 octobre 2003 montrent un jeune kanak avec le drapeau du FLNKS planté sur les ruines d’une maison d’une famille wallisienne. Ces images parlent d’elles-mêmes : pour ceux qui se laisseraient tentés par l’aventure de l’Indépendance voilà ce qui vous attend, venez donc vous réfugier sous les ailes de la Mère Patrie.

b) Saint-Louis de par sa position géographique est située dans une zone immensément riche en Nickel, cobalt, gaz, pétrole. INCO lance un immense projet à Goro (Yaté) au Sud de Saint-Louis. Demain les Multinationales viendront se partager le pactole du gaz et pétrole du plateau continental déjà des contrats en sous-marin sont passés à l’issu des kanak et de leur représentation politique (le FLNKS).

La mise en place des grands projets industriels nécessite des négociations avec les interlocuteurs locaux. Les Multinationales ont choisi les leurs ; ce seront les Institutionnels de la Province Sud, en fait le RPCR. Ils ont donc ensemble tout intérêt que du côté kanak la représentation soit satellisée et diluée c'est-à-dire comme le préconisait Henry KISSINGER mieux vaut négocier avec des petits chefs de guerre clanique qu’avec un groupe organisé. Pour les grandes sociétés la multiplication des « Trous Noirs » est la solution la plus rentable.

c) Le spectre de la partition.

La partition est une solution préconisée pour garder une Nouvelle-Calédonie Française. De droite comme de gauche les gouvernements successifs envisagent un tel scénario au cas ou…..Les stratégies misent en œuvre intègrent donc cette « possible » solution. A partir de Saint-Louis comme test de ce scénario des cas similaires émergeront dans les mois et les années à venir essentiellement en Province Sud où l’immigration Européenne est toujours la plus importante.

3.2 Saint-Louis comme laboratoire d’essai

Le thème récurrent de l’épuration ethnique a été constamment utilisé durant ces deux dernières années pour contrer la revendication d’Indépendance et la Communauté de destin. Depuis le 17 septembre 2003, les Wallisiens/Futuniens ont quitté le Val de l’Ave Maria, quelle est désormais la seconde étape ? Le film de TF1 du 05 octobre 2003 l’a clairement annoncé à la fin de l’émission : « les coups de feu entre clans riveaux ont éclaté » Du thème de l’épuration ethnique on glisse vers les conflits identitaires et claniques. Ce qui signifie en clair que les conflits entre les deux chefferies vont s’accentuer pour déboucher si possible sur quelques morts programmés qui viendront complètement ruiner la crédibilité du projet d’indépendance. Les stratégies poussent la chefferie du Mont-Dore à multiplier les pressions sur la chefferie de Saint-Louis et vice versa pour alimenter un conflit de légitimité qui perdure comme résultante de la colonisation.

L’épisode du MWA KA du 24 septembre 2003 rentre dans cette stratégie de provocation. Comme si, dans la multitude des contentieux à résoudre il était nécessaire de s’alourdir d’un problème qui en n’était pas un au début. L’ initiateur du projet propose qu’à l’occasion du 150ème anniversaire de la perte de la souveraineté kanak (1853-2003) un poteau sculpté par les huit aires coutumières soit transporté et planté dans Nouméa la « ville blanche ». Ce poteau de 8 mètres et 3 tonnes sera coupé à la vallée de la Thy à Saint-Louis et les deux chefferies seront impliquées dans l’organisation de la journée du 24 septembre à Nouméa. Dès le départ des malentendus surgissent entre l’initiateur du projet et les chefferies, et c’est dans un beau désordre coutumier que le MWA KA arrive à Nouméa en ce 24 septembre 2003. Malgré la ferveur populaire autour de ce symbole fort (après 150 ans de colonisation il faut construire l’indépendance dans une Communauté de destin), les responsables politiques et coutumiers restent divisés sur le lieu où sera planté ce poteau : place des cocotiers lieu symbolique fort ou place de la Moselle lieu d’implantation du Musée et des Institutions. Finalement se sera la place de la Moselle sur proposition du Président de la Province Sud qui récupère à son profit cette journée du 150ème

De l’intention louable d’un rassemblement de Saint-Louis autour de ce projet, le résultat est atteint pour les experts en déstabilisation, la désunion de la tribu de Saint-Louis une fois encore confirmée. Cet exemple à valeur de test il inaugure encore d’autres coups tordus de ce genre dans la perspective des élections de mai 2004.

II) La Mélanésie, cas d’école les Salomons

Saint-Louis, comme indiqué précédemment n’est pas un cas isolé sur l’échiquier du monde mélanésien. La déstabilisation de cette tribu est à mettre en relation avec les mêmes stratégies initiées aux Iles Fidji, à Vanuatu, en Papouasie-Nouvelle Guinée et aux Salomon. Il s’agit des mêmes commanditaires de l’ombre qui agitent les ficelles toujours dans le même but : la théorie du « Trou Noir » qui vient renforcer l’indispensable présence de la France comme facteur de stabilité et de prospérité dans cette région du monde.

1- Le trou noir

Dans le « Pacifique nouveau centre du monde » les fondateurs de l’institut du Pacifique en 1983 définissent ainsi la théorie des trous noirs : « astres de très petites dimensions qui engendrent en raison de leur densité, des forces de gravité considérables. Ces forces attirent dans un tourbillon toute matière située dans une région relativement étendue aux alentours, et empêchent l’énergie lumineuse émise de s’échapper vers l’extérieur. Voici des objets qui produisent des perturbations considérables sans produire le moindre rayonnement. Transposé au plan géopolitique tel est bien l’effet que produisent certaines espaces de forte instabilité de la zone du Pacifique ». Et les auteurs précisent les causes de cette instabilité : un développement incohérent ou trop brutal synonyme de ruptures des structures sociales, d’inégalité, de concussion. Dans le même ordre d’idée certains auteurs parleront de l’arc Mélanésien comme l’arc de l’incohérence où disparaît peu à peu le « Pacific Way of life » cher au Premier ministre Sir Ratu kamisese MARA le « père » de l’indépendance des Iles Fidji.

Enfourchant la théorie du trou noir mélanésien François DOUMENGE s’empresse de tirer une conséquence positive pour la Nouvelle-Calédonie française. La conclusion de son article « la France confrontée au trou noir du Pacifique, la face inconnue de la question calédonienne » est très significative : « Quant à la France si elle sait continuer à maintenir la loi et l’ordre républicain, elle évitera bien des ennuis. Elle pourra de plus servir de référence à une autre forme de Pacific Way où la substitution de la négociation aux violences se réalise par la promotion d’un haut niveau de vie partagée par le plus grand nombre : c’est le fondement de la « conciliation durable » des communautés ethno culturelles et à terme de l’unification de la société par métissage généralisé des hommes et des valeurs de convivialité… »

Il s’agit là de tout un programme dont s’est largement inspiré J.CHIRAC Président de la République lors de son déplacement en Océanie en juillet 2003. Mais ce programme n’est crédible qu’à la condition qu’il soit le seul recours dans un environnement chaotique ou « apocalyptique » empêtré dans des conflits identitaires et ethniques. Puisque c’est ainsi par exemple que François THUAL, le spécialiste de l’étude des conflits identitaires décrit la situation aux Iles Fidji. En parlant des Mélanésiens lors du coup d’Etat de 1987 il note : qu’ « au nom d’une conception pratiquement raciste, une sorte de déchaînement des partis anti-hindou s’opère sur fond d’apocalypse, en tout cas en termes d’atmosphère de fin du monde ».

Face au « Trou noir » mélanésien l’ultime recours reste la France en Nouvelle-Calédonie, il s’agit de l’objectif à atteindre permettant d’arrimer définitivement la Nouvelle-Calédonie à la France. Le moyen d’atteindre cet objectif est d’accentuer la pression sur les causes de l’instabilité dans l’arc mélanésien pour rendre crédible le programme du couple Doumenge / Chirac.

Fin provisoire de la note qui sera complétée ultérieurement (31 mars 2004)

Roch WAMYTAN

Grand chef de Saint Louis depuis 1987

Président du FLNKS (1995 – 2001)

Président du Groupe du Fer de Lance Mélanésien (2001 -2003)